Sur fond de récentes atteintes judiciaires à la liberté d’expression en Turquie, le mince espoir d’une avancée du procès pourrait être lié à la désignation d’un nouveau procureur. La 17ème audience du procès de 19 des 20 accusés de l’assassinat de Hrant Dink a eu lieu le 28 mars 2011 devant la Cour d’assisse d’Istanbul dans un climat de recul des avancées de la société turque en matière de liberté d’expression.
Ainsi, le 3 mars deux journalistes d’investigation étaient interpellés puis placés en détention, pour une période qui s’annonce durable, au motif allégué de leur appartenance au présumé réseau kémaliste occulte Ergenekon regardé comme ayant tenter de fomenter un coup d’Etat.
Ahmet Sik était sur le point de publier en librairie « L’Armée de l’Imam », ouvrage décrivant l’infiltration grandissante de la police par la très puissante confrérie islamiste du prédicateur installé aux Etats-Unis, Fethullah Güllen, proche du Parti de la Justice et du développement (AKP).
Nedim Sener, du quotidien libéral Milliyet, est quant à lui l’auteur d’un livre consacré au meurtre de Dink dans lequel il démontre que des responsables des forces de sécurité en avait été avisé du projet et l’avait laissé être perpétré.
Notons que les magistrats chargés de juger les responsables présumés de l’assassinat de Dink n’ont jamais cru devoir auditionner Sener, nonobstant les nombreuses informations inédites que contient son livre. La condamnation de Pamuk
Enfin, le 25 mars, pour avoir déclaré lors d’une interview donnée à un journal suisse en 2005 que « Un million d’Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres », l’écrivain nobélisé Orhan Pamuk était condamné à payer des dommages-intérêts à six citoyens turcs auxquels il a été jugé avoir porté atteinte à la dignité, parmi lesquels l’avocat nationaliste Kemal Kerinçsiz, par ailleurs en détention dans le cadre de l’affaire Ergenekon et à l’origine de la procédure au terme de laquelle Dink avait été condamné pour atteinte à la « turcité ».
Un tel contexte ne prédisposait pas à l’optimisme avant l’audience du 28 mars pour laquelle les Ordres des avocats de Paris et de Bruxelles avaient missionné une nouvelle délégation conjointe d’observateurs composée de Marie-Alix Canu-Bernard, membre du Conseil, Elise Arfi secrétaire de la Conférence, Yves Oschinsky, ancien Bâtonnier de Bruxelles et Alexandre Aslanian, Vice- Président de l’Association Française des Avocats et Juristes Arméniens.
En l’absence d’Ogün Samast, dont le jugement relève désormais de la Cour d‘assises des mineurs, l’audience débutait par l’audition de deux témoins qui étaient assis au côté de ce dernier dans le car qui le ramenait d’Istanbul à Trabzon après le meurtre.
Leurs déclarations, relatives aux propos échangés avec Samast durant le trajet et aux modalités de son interpellation à l’arrivée du car à la gare routière de Samsun le 20 janvier 2007, n’apportaient pas d’éclairage nouveau sur le dossier.
Des séquences vidéo manquantes
Le Président de la Cour donnait ensuite lecture des conclusions du centre de recherche scientifique et technologique Tübitak concernant les images prises avant 12 h 38 le jour du meurtre par la caméra de surveillance de l’Akbank que les avocats de la famille Dink disent avoir été effacées.
En une page « d’expertise » l’organisme d’Etat affirme qu’aucune image n’a été effacée de cet enregistrement, alors même que les employés de la banque affirment avoir remis à la police l’intégralité des images filmées le 19 janvier 2007 et que l’enquête de police avait elle-même conclu que les séquences en question avaient été supprimées par la suite.
Erdogan Soruklu, avocat d’un des trois principaux accusés, l’ancien informateur de la police Erhan Tuncel, exprimait son accord avec ses confrères pour critiquer ce rapport.
« L’effacement des ces images est du à l’organisation qu’il y a derrière ce meurtre » assène-t-il, avant de rappeler que « dans un procès-verbal de police du 2 février 2007 il est indiqué que les images ont été filmées de 10 h 00 à 17 h 30 » pour conclure « nous n‘acceptons pas les conclusions du rapport de la Tübitak ».
La Cour allait décider d’ordonner à cet organisme public de procéder à une nouvelle expertise des disques durs des bandes vidéo de la banque située a proximité du lieu du crime.
Refus d’auditionner le père de l’accusé n°1
Entendu le 24 mars par le Tribunal d’Ankara suite à la demande des avocats des parties civiles, le directeur adjoint de la police de Trabzon à l’époque du meurtre, Necati Ekinci, indiquait que le père du principal accusé, Ogün Samast, avait déclaré quelques heures après le meurtre aux policiers qui cherchaient son fils pour l‘interpeller : « le commandant de gendarmerie qu’il rencontre souvent devrait pouvoir vous renseigner mieux que moi sur le lieu où il se trouve ».
Lors de l’audience du 28 mars, l’avocate Fethiye Cetin demandait en conséquence à la Cour de citer à comparaître le père de Samast comme témoin pour faire la lumière sur les relations entretenues par celui-ci avec la gendarmerie.
Depuis le début de cette affaire, les conseils de la famille Dink n’ont en effet de cesse d’essayer de démontrer que ce procès ne concerne que de simples exécutants derrière lesquels se cachent les véritables commanditaires appartenant à l’appareil d’Etat.
Le témoignage du père de Samast apparaissait d’autant plus capital que, lors de sa première audience devant la Cour d’assises des mineurs le 28 février, celui-ci a confirmé ses déclarations faites devant les services d’enquête du Premier ministre selon lesquelles il avait été soulagé d’avoir interpellé par la police car à défaut « il savait qu’il allait être tué ».
Pour autant, la Cour allait refuser d’auditionner le père de Samast au motif que « cela ne contribuera pas à la manifestation de la vérité » !
La police était informée du projet
Dans la continuité de sa nouvelle stratégie de défense amorcée lors de l’audience du 7 février, l’avocat d’Erhan Tuncel, l’indicateur de la police au moment des faits, dénonçait alors les insuffisances d’une enquête qui « est loin de faire la lumière sur la vérité » et « la volonté de faire disparaître et modifier certains éléments de preuve ».
Selon lui l’acte d’accusation décrit à tort son client comme étant l’organisateur du meurtre, alors que sa réalisation nécessitait des moyens matériels importants qu’un étudiant en université tel que Tuncel ne pouvait réunir.
Me Soruk mentionnait un rapport fait par son client à la Direction de la sûreté de Trabzon le 15 février 2006, soit onze mois avant le meurtre, dans lequel il indiquait « de temps en temps je croise Yasin Hayal qui me dit avoir de la rancune contre les Arméniens que Dink a des activités qui dénigrent les Turcs et qu’il va le tuer. J’essaye de l’en dissuader mais il m’indique que quoi qu’il arrive il va être tué ».
Après avoir rappelé que ce rapport avait été transmis aux responsables de la sécurité d’Istanbul, l’avocat s’interroge : « Le contenu de ce rapport n’est-il pas suffisant pour que les forces se sécurité empêchent l’assassinat de Dink. A défaut, quel type d’information faut-il leur fournir ? »
Quant à lui, Tuncel affirmait que de nombre des appels passés à ses contacts policiers auxquels il transmettait des informations ont sciemment été effacés du registre de ses communications téléphoniques versé à la procédure dans le but de le désigner comme coupable et afin d’empêcher de remonter jusqu‘aux responsables des services de sécurité.
Tuncel soutenait que Yasin Hayal, l’autre principal accusé, avec Samast, l’incrimine « pour protéger les gens qui sont au dessus de lui » et qu’il « symbolise la mentalité qui a assassiné Dink ».
Après en avoir délibéré la Cour rejetait cependant sa demande de remise en liberté conditionnelle
La seule petite lueur d’espoir de cette audience allait venir du procureur Hikmet Usta, nouvellement désigné dans ce dossier, qui exprimait la possibilité de requalifier à la hausse les chefs d’accusation en abandonnant celui « d’appartenance à une organisation interdite » pour celui « de tentative de renversement de l’ordre constitutionnel par la force » qui permettrait d’envisager une jonction du dossier avec la procédure Ergenekon.
Cependant, l’inertie dont fait montre la Cour depuis que cette procédure a débuté il y a quatre ans oblige l’observateur à la plus grande prudence.
La prochaine audience a été fixée au 30 mai.
Alexandre ASLANIAN
Avocat au Barreau de Paris
Vice-Président de l’Association Française des Avocats et Juristes Arméniens