Assassinat de H. Dink
Menaces contre la famille de la victime, propos raciste et dénonciation de la passivité de la Cour ont marqué la 10ème audience du procès des assassin et complices présumés du meurtre de Hrant DINK.
La dixième audience du procès des vingt personnes poursuivies pour l’assassinat, le 19 janvier 2007, du journaliste turc d’origine arménienne, Hrant DINK, s’est tenue le 6 juillet 2009 devant la 14ème chambre de la Cour d’assises d’Istanbul.
Ouverte depuis juillet 2007, cette procédure marque le pas, donnant le sentiment que ni le Parquet ni la Cour ne recherchent vraiment la vérité.
Les proches de DINK et les milieux progressistes avaient donc décidé de mobiliser à nouveau l’opinion.
S’étant donné rendez-vous le samedi 4 juillet en fin d’après-midi sur l’avenue Istiklal, la plus célèbre artère de la ville, près de deux mille personnes ont formé une chaîne humaine de solidarité longue d’un kilomètre, aux cris de « Pour Hrant, pour la justice », « Le sang coule, l’État regarde », « Nous sommes tous des Arméniens », réclamant avec détermination que tous les responsables de ce crime soient poursuivis en justice.
Le jour de l’audience, ils manifestaient à nouveau aux abords du tribunal.
A la demande des avocats des parties civiles, à l’instar de l’audience du 20 avril dernier (cf NAM n° 153), le bâtonnier de Paris, Christian Charrière Bournazel, avait de nouveau mandaté une mission d’observation judiciaire composée de Me Vincent Nioré, membre du Conseil de l’Ordre et Me Alexandre Aslanian, vice-président de l’AFAJA (Association Française des Avocats et Juristes Arméniens).
Cette délégation était renforcée par la présence hautement symbolique du bâtonnier de Bruxelles, Yves Oschinsky, capitale de cette Union Européenne que la Turquie ne pourra espérer intégrer qu’au prix du respect d’un certain nombre de principes au rang desquels figure le respect des droits de ses minorités.
Me Yücel Sayman, ancien bâtonnier d’Istanbul avait tenu à être présent aux côtés des avocats de la partie civile et en solidarité avec ses confrères belge et français dont la présence avait été déclarée indésirable par l’actuel bâtonnier, Muammar Aydin, au demeurant négationniste du génocide arménien.
Dans la chaleur étouffante d’une salle trop exiguë, au regard de l’intérêt médiatique suscité par ce procès, l’audience a débuté en fin de matinée en présence de Ogün Samast, Yasin Hayal, Erhan Tuncel, Ahmet Iskender et Ersin Yolcu, assis dans le box et seuls parmi les vingt accusés à être détenus.
« Crève,Arménien, crève ! »
Deux témoins se sont succédés à la barre accréditant la thèse que Samast, présenté par l’acte d’accusation comme l’assassin ayant agi seul, était en réalité accompagné lors du repérage préalable et le jour du crime.
Mesut Oz témoigne avoir pris un verre avec Dink, une semaine avant son assassinat dans le quartier de Bakirkoy et précise qu’après avoir découvert la photographie de Samast dans la presse, il l’a reconnu comme étant présent lors de sa rencontre avec Dink et qu’il les surveillait en compagnie d’une personne.
Réagissant à ces propos, Samast répond ne pas savoir où se trouve Bakirkoy et se scandalise que ce témoignage soit apporté plus de deux ans après les faits.
Mesme Havva, employée dans une épicerie proche du journal Agos, et auditionnée à deux reprises lors de l’enquête, décrit quant à elle comment Samast l’a bousculée alors qu’elle marchait derrière Dink et a tiré sur le journaliste.
Interrogée par le Président Erkan Canak pour savoir si une autre personne accompagnait Samast, elle répond : « Oui, l’autre a fait signe de la main à Samast et ils sont partis en courant ensemble. Ils ont bousculé une fille dont le sac est tombé par terre. Il y a eu des pleurs des fenêtres de l’immeuble du dessus » [bureaux de Agos]. Elle ajoute qu’il pourrait s’agir de Yasin Hayal.
Elle confirme enfin, comme elle l’avait soutenu aux enquêteurs, que l’assassin s’est adressé à sa victime en criant : « Crève Arménien, crève ! ».
En réponse, Samast maintient avoir agi seul, déclarant que la personne qui courrait à ses côtés n’était qu’un livreur de lehmedjoun et niant les injures racistes qui lui sont imputées.
Déjà condamné dans le cadre de l’attente du Mc Donald à Trabzon, l’accusé Yasin Hayal, se cantonne à déclarer qu’il n’était pas Istanbul le jour du meurtre, que les rapports de police l’établissent et se refuse à toute autre déclaration.
La première suspension d’audience a été l’occasion pour les membres de la mission d’observation judiciaire de s’exprimer devant la presse.
Le bâtonnier de Bruxelles, intervenu plusieurs années auparavant pour le procès de l’avocate turque Eren Keskin, rappelle les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et notamment le principe du droit à la vie et au procès équitable.
Me Nioré fait état d’un courrier au terme duquel « le bâtonnier de Paris et son Conseil de l’Ordre suivent avec attention ce procès en solidarité avec leurs confrères du barreau d’Istanbul fidèles à la mémoire de Hrant Dink ».
Me Aslanian pour l’AFAJA se félicite des liens initiés entre avocats français d’origine arménienne et confrères turcs et dit son espoir que la Cour fera désormais droit aux demandes d’actes et de jonction des procédures, essentielles à la manifestation de la vérité.
A la reprise de l’audience, un autre témoin, Veysal SAHIN, poursuivi pour le meurtre d’un missionnaire à Malatya et qui travaillait à l’époque des faits pour les services de renseignement de Trabzon, déclare que Yasin Hayal, croisé dans les locaux de la gendarmerie, lui y avait été présenté comme « quelqu’un de bien, un bon patriote ».
Si ces propos attestent de la collusion entre certains des accusés et les forces de sécurité, le témoignage suivant illustre, quant à lui, les tentatives de brouiller les pistes auxquelles se livrent certains milieux proches des dites forces.
Lors de la précédente audience, cinq détenus poursuivis pour d’autres causes étaient venus déclarer qu’ils avaient été destinataires d’une confidence émanant d’un autre prisonnier, Ertugrul Balci, selon laquelle Ogün Samast ne serait pas l’assassin de Dink et que Celalettin Cerrah, directeur des services de renseignement d’Istanbul connaîtrait la véritable identité du tueur.
Fils de l’ancien directeur de la sûreté d’Istanbul, l’intéressé nie la révélation qui lui est prêtée : « Je ne comprends pas pourquoi vous m’avez convoqué. Je n’ai rien à dire ».
C’est maintenant à Erhan Tuncel, l’indicateur qui se présente comme ayant fait remonter à ses supérieurs l’information quant au projet d’assassinat de Dink, d’être questionné par les avocats.
Il déclare avoir fait connaissance avec Yasin Hayal à Trabzon en 2002 mais que leurs relations se sont intensifiées après 2003 : « début 2006 nous étions dans un café Internet quand Yasin m’a dit qu’il allait tuer Dink. Il m’a indiqué qu’il comptait lui tirer dans la nuque. Il m’a demandé de l’aider. Je lui ai dit que j’allais le dénoncer. Il avait une dent contre les Arméniens. Mon contact m’a dit d’essayer de lui faire renoncer à ce projet, mais personne ne m’a dit de le surveiller de manière spécifique. Puis Yasin m’a dit qu’il avait trouvé quelqu’un d’autre pour accomplir le meurtre ». Après une deuxième suspension l’audience est sur le point de reprendre, il est 16 h 40.
La configuration de la salle d’audience oblige les membres de la famille DINK à passer à quelques centimètres à peine des accusés pour regagner leur place, située à côté de celles de leur avocats.
C’est alors qu’Ogün SAMAST fixant du regard Delal et Khosrov DINK, fille et frère de la victime, menace d’une voix basse mais intelligible : « Attendez, dans cinq ans je sors et vous verrez ! ».
Tout le monde dans l’assistance semble avoir entendu ces paroles haineuses sauf le Procureur et les juges qui ne réagissent pas.
Face à la passivité de la Cour, le frère de Dink répond au nom de sa famille à Samast : « Nous, nous ne savons pas tuer ».
En guise de défense, Samast déclare mollement : « J’ai juste dit que je sortirai dans cinq ans » attestant involontairement mais de manière éclatante de son sentiment de quasi-impunité.
C’est alors que les avocats des parties civiles s’élèvent pour dénoncer la complaisance de la Cour à l’égard des accusés depuis le début du procès.
« Je ne comprends par que vous ne réagissiez pas Monsieur le Président aux insultes qui sont proférées » s’étonne une avocate d’un certain âge qui se voit aussitôt traitée à voix basse de « pute » par Samast.
Maître Bahri Belen, dénonçant le comportement de l’assassin présumé, interpelle le Président : « Il vous appartient d’assurer la police de l’audience. Ce n’est pas à nous, les avocats, de rappeler à l’ordre l’accusé. A la première audience j’ai cru que Samast éprouvait des remords quand il a déclaré qu’il n’aurait pas tué Dink s’il avait su qu’il avait des enfants. C’est la première fois dans ma carrière d’avocat que je vois une Cour d’assises tolérer de tels comportements, des accusés agir ainsi sans aucune retenue, encouragés en cela par votre absence de réaction. Je demande que vous saisissiez le Ministère public de la menace qui vient d’être proférée ».
Le bâtonnier de Dyarbekir, Sezgin Tanzikulu, qui participe à chaque audience, s’adresse à son tour au Président Canak : « Vous n’avez pas le droit de vous adresser à nous en nous rudoyant, car vous leur donnez de la sorte un mauvais exemple. Depuis la première audience vous utilisez des expressions affectueuses en vous adressant aux accusés. Votre volonté de ne pas faire éclater la vérité est évidente ».
Parmi les quatre cents avocats de Turquie mobilisés pour la défense de la famille Dink, un confrère du barreau d’Adana renchérit : « Jusqu’à présent nous ne sommes pas intervenus face à de telles provocations par respect vis à vis de l’ autorité de votre Cour » .
Surpris par la charge des avocats de la partie civile, Samast s’interroge à haute voix : « Ils sont Arméniens, eux aussi ? » reconnaissant implicitement et nonobstant les dénégations du bâtonnier Aydin dans son courrier d’avril dernier au bâtonnier de Paris, le caractère éminemment raciste de son crime.
Les avocats de la famille DINK poursuivent leur implacable réquisitoire contre ces deux premières années de procédure mettant en exergue la volontaire inertie du Parquet, de la Cour et de son Président, leur accommodement des réponses dilatoires apportées par les directions des services de gendarmerie et de police de Trabzon, de police d’Istanbul et de l’administration des Télécommunications, aux demandes de communication d’information et de pièces en leur possession de nature à permettre d’établir les véritables responsabilités dans cette affaire.
« Le code de procédure pénale prévoit que c’est au tribunal de collecter les preuves matérielles des faits. Cela fait deux ans que ce procès a débuté et le stade où nous sommes arrivés est décevant car il n’y a pas eu de votre part de recherche d’éléments de preuve. Je vous demande de faire le bilan des initiatives que vous avez prises jusqu’à présent. Il en va de la responsabilité de votre Cour d’empêcher la rétention des informations par les administrations » rappelle Me Fetiye Cetin.
Plus brèves seront les interventions des avocats de la défense, dont le petit nombre s’avère emblématique de la confiance de leurs clients en la clémence du verdict à venir.
L’avocat de Yasin Hayal invite la Cour à « ne pas se laisser influencer par les analyses faites dans la presse », ajoutant : « il n’y a rien au dossier contre mon client hormis les déclarations de Samast et Tuncel ».
Interrogé à son tour, Ersin Yolcu précise : « Mon oncle (Yasin Hayal) m’avait dit qu’il allait envoyer Samast tuer quelqu’un. Ma plus grande erreur a été de ne pas dénoncer ce projet. Mais j’avais peur de mon oncle ». Son avocat, Me Feyzullah Sama, cite alors un arrêt de la Cour de Cassation sur l’état de contrainte et la menace exercée sur une personne qui ferait échec à sa poursuite sur le fondement d’aide et recel.
Également en charge de la défense des intérêts d’un autre « second couteau », Ahmet Iskender, Me Sama souhaite différencier ses clients des autres inculpés : « Nous ne voulons offenser personne. Nous sommes conscients qu’il y a ici une famille en deuil ».
Puis, s’adressant à la Cour : « Vous devez juger sur la base de preuves matérielles. Vous ne devez pas vous laisser influencer par les journalistes . Il n’existe pas dans cette affaire de structure organisée qui aurait élaboré cet assassinat et dont mes clients seraient membres. Je demande donc la remise en liberté de mes clients. ».
En l’absence de son avocat, interdit d’audience pour avoir distribué des tracts nationalistes devant le tribunal, Erhan Tuncel va terminer l’audience par la lecture, d’une voix monocorde et pendant près de quarante minutes, d’une déclaration écrite, affirmant avoir fait ce qui lui était possible pour prévenir l’assassinat en remontant les informations à ses interlocuteurs au sein des services de renseignement. Il conclue son propos en demandant à être remis en liberté.
A l’issue d’une ultime suspension d’audience la Cour a rendu tard dans la soirée son délibéré sur les demandes présentées par les parties : Elle accepte de saisir le Ministère public d’une demande d’information relativement aux menaces proférées par Samast et décide de faire injonction aux administrations récalcitrantes de répondre à ses demandes de communication de pièces.
Elle rejette, par ailleurs, les demande de remise en liberté.
A l’issue de cette audience notamment marquée par l’extrême combativité des avocats de la famille Dink, la Cour se retrouve face à ses responsabilités.
Elle ne peut désormais plus biaiser et se doit d’instruire réellement son dossier et rechercher la vérité, quelle qu’elle soit, sauf à entériner le sentiment que le procès est définitivement cadenassé.
Alexandre ASLANIAN Avocat au Barreau de Paris Vice-président de l’Association Française des Avocats et Juristes Arméniens (AFAJA)
VERBATIM
Mesme Havva, témoin
« Je marchais derrière la victime lorsqu’un homme m’a bousculé par derrière, puis j’ai entendu le bruit d’une arme ... La deuxième balle l’a touché à la tête mais la troisième ne l’a pas atteint. L’homme est resté une ou deux secondes à le regarder avant de s’enfuir. J’ai crié : « il a tiré sur cet homme ». Mon amie Songul m’a dit de me taire car il pouvait me tuer à mon tour. La deuxième fois où la police m’a convoqué ils m’ont montré Samast à travers une glace sans tain et je l’ai reconnu ».
Me Fethiye Cetin
« Le Procureur présent ce jour à l’audience y assiste pour la première fois mais son prédécesseur n’a jamais pris la parole en deux ans sauf pour s’opposer aux demandes que nous avons formulées. Ce qui est contraire aux devoirs de sa charge. Le Procureur de la république n’est pas une potiche mais doit être un acteur du processus aboutissant au jugement. Malgré nos efforts, nous n’avons jusqu’à présent pas réussi à faire éclater la vérité. L’’institution judiciaire a atteint ici ses limites qu’il convient de forcer. Nous avons fait des demandes pour que votre tribunal collecte des indices et des preuves mais elles ont été systématiquement rejetées. Il y a donc une carence manifeste de vos fonctions. Pour que la structure organisationnelle émerge, il faut que tous les témoins comparaissent. Pour que le processus ayant conduit à l’isolement de Dink, les responsabilités de ceux qui connaissaient les préparatifs soient mis à jour toutes les procédures doivent être réunies pour être jugées devant votre Cour. Vous devez interroger les responsables de la police et de la gendarmerie de Trabzon et d’Istanbul. Les unités responsables de la sûreté et du renseignement ont participé aux préparatifs ayant conduit à son assassinat. Le motif de son assassinat et le fait qu’on en trouve pas les responsables sont liés ».
Me Feyzullah Sama, avocat de Ahmet Iskender et Erdin Yolcu
« Dans une organisation les membres doivent se comporter comme des robots au moment de l’action. Or dans les faits que vous avez à juger, on ne voit pas qu’une quelconque discipline ait existé entre les accusés. Un membre d’une organisation mise sur place pour perpétrer un meurtre ne peut pas, comme c’est le cas en l’espèce, être allé acheter un crayon et trois gommes le jour du crime. Pour que la qualification d’organisation armée puisse être retenue la majorité des accusés auraient du être en possession d’une arme, or il n’y avait qu’une seule arme. Ahmet Iskender n’était au courant de rien. On a utilisé son téléphone, l’arme a été retrouvée dans son magasin. Or, rien dans ses déclarations, dans ses prises de position ne donne à penser qu’il était informé du projet de ce meurtre. Iskender a peur de Yasin Hayal . L’arme a très bien pu être cachée dans son magasin à son insu. Son téléphone faisait office de téléphone public, tout le monde l’utilisait . Contrairement à Samast, Tuncel et Hayal, les déclarations d’Iskender n’ont pas varié depuis le début de la procédure. Iskender n’était au courant de rien, il est poursuivi à tort. Il est dans cette une affaire une victime et non un complice. La famille du défunt a demandé à la Cour d’être traitée comme n’importe quel citoyen de ce pays. Nous demandons à notre tour la même chose. Ce n’est pas parce que la personne qui a été tuée était connue à l’étranger qu’il doit être fait de exceptions. »